vendredi 2 mars 2007

Lettres décousues

Arrêté ! Devant le Grand Tiroir ! Me voilà sans énergie et sans voix, et presque sans réflexion. Je te savais de l’autre côté de la paroi globuleuse. À l’ombre dans ce lieu obscur et interdit. Comment as-tu osé franchir l’incommunicable et surtout comment as-tu fait ? Je te jalouse d’être là où tu es parce que j’ai la certitude que cela te permet de te propulser en des recoins de l’imaginaire rebelles et plus subtils que mes années passées à penser, accumulées comme des piles de vieilles chaussettes inertes, effilochées et dépareillées. L’insondable me percute et je glisse entre les rides prononcées par d’infectes machines à coudre assoiffées de paroles outrecuidantes.


Peut-être es-tu sortie de l’emplacement prévu à cet effet, peut-être parles-tu à d’inconséquents crachoirs sournois et dansants. Peut-être gravis-tu les mots afin de les surplomber et d’ainsi les décourager de toute persévérance doucereuse. Peut-être marches-tu comme une plume empaillée. Peut-être accapares-tu des tuteurs tortueux ensevelis sous les décombres des ultimes phrases explosées par des mossiles surabondants pendant que je finis de raboter des copeaux ensoleillés. Il me faut avancer, alors plutôt que de te parler dans le vide, j’aimerais te chanter avec une voix empruntée à la voxithèque méditerranéenne.


Collectionneur de rues en pente de moins de cinq mètres, je les répertorie dans mon petit carnet où je colle une photo vue d’en haut et une d’en bas. Et lorsque je n’en trouve pas, je reviens à la plus proche et je m’y enroule comme dans un vieux tapis malmené. Alors je regarde par à-coups le soleil ou les étoiles à en perdre la tête qui perd ses repères et m’emmène par la main dans des pièges où je finirai bien ma part de dessert. Ce serait un immense plateau d’agrumes tuméfiés gorgés d’acidités agréables porté par des antiquaires bienveillants chargés également de parfums en provenance des océans que je n’ai jamais vus.


C'est certainement ainsi que j'ai perdu la clef. Elle sera tombée au fond de la rivière quand je passais sur le pont et que les arbres m'ont fait signe. Je ne savais plus quel était le chemin à suivre pour atteindre la clairière. J'aurais pu attendre que les trois oiseaux désarticulés m'apportent leur GPS sifflatoire. Mais l'impatience m'avait saisie au détour du sentier et je n'avais plus d'autre solution que de me précipiter à six pieds sous terre à la suite du Lapin Blanc. Dans la crypte, les archéologues pianotaient sagement sur leurs genoux. Je les ai salués d'un simple coup de chapeau et j'ai poursuivi ma route.


Désaltéré je regarde autour de moi. Pendant que ma poitrine fume, je vois que l’outre cuit dans ce sentiment infect qui s’écoule de mon cerveau délaissé par les premières portions de la propension à s’investir dans une stratégie inefficace et provocante assise au côté de la démesure des architectes toniques. Ils grégarisent mes pensées par-dessus le parterre envahissant et protégé par d’immenses tours d’un style médiéval colorisé de lasers précipités comme des sourires sincères emprunts de jovialités surréalistes. À la vue de ce tableau, mes yeux rougissent de cette fatigue prononcée par la concentration. Seule l’activité campanaire de mes amis lointains parvient à me sortir de ce trouble. Il faut que je me retrouve, alors je longe la petite rivière fluette.


Les porteuses d’eau affectionnent de me voir ramassé comme un vieux foulard dardé de clefs musicales dithyrambiques. J’hoche le chef couvert d’un agrégat de scarabées violets qui tombe, un à un à chaque secousse avant de se précipiter dans une ornière profonde et de finir écrasés par les pneus des camions qui défilent sans arrêt en ces temps de guerre prolongés par de nouveaux achats d’armes rudimentaires et efficaces. Il me faut avancer sans savoir raison, juste pour éviter les particules de poussières qui me font tousser et emplissent mes pages d’écritures. J’organise mon retour vers des immensités plus propices à mon âme gonflée à l’hélium, en des plaines immenses comme seule la Mongolie sait en disproportionner.


Je marche pensivement le long des échancrures dépolies. De l'autre côté du ravin, je vois briller le reflet des toits de bronze de l'usine de chemins de fer de Skarler Liot. Je n'aurais pas cru que nous en étions si près... Un oriflamme rouge et or flotte au-dessus des toits et des ondes ondulantes de musique sérielle sortent des fenêtres entrouvertes. Il faut absolument que j'arrive à me concentrer sur les cercles parallèles de l'hypogée où reposent côte à côte la règle des trois unités et la quadrature de l'octogone. Pour accroître ma présence d'esprit, je déclenche l'ouverture des deux paires d'yeux annexes que je porte à l'arrière de la tête. Les uns sont bleus, les autres d'un vert jaunâtre comme le destin. Grâce à eux je vois se dessiner la voie royale que je vais suivre.


Au bout de l’allée couronnée, jetant par-dessus mon épaule un regard perdu dans le lointain, je franchis le seuil de la prestigieuse sensation de ne faire qu’un avec le monde. À coups de pieds nus ventrus je suis reçu et balancé là d’où je viens. Alors je cherche en moi les juments vertes, les oranges bleues, les mots colorés, les mitaines lumineuses, les fontaines musicales, les pollinisations fertiles, les portes dorées et les sycomores parfumés. Je te vois dictant à trois scribes des molécules de romans glacés aux personnages préoccupés par de glissantes fêlures. Aucun n’ose ouvrir la parole.


Alors je prends la bouche et me réfugie près des toits pour ressentir ce vertige incontrôlable. Je plonge sans artifice et mon esprit tire le signal d’alarme. Prostré par d’inconnus grabataires juxtaposés les uns sur les autres, je cours ailleurs, toujours ailleurs afin d’échapper à moi-même et j’atterris sur un disque bleuté qui tourne et me détourne de mes ambiguïtés. Une autoroute en plastique me paye un voyage gratuit et je fuse comme balle provisoire destinée à rebondir à chaque mauvais coup. Sans savoir pour toi, je te suppose hors du Grand Tiroir, entourée de phrases agréables, légères et parfumées t’assurant un style épanoui. Pendant ce temps je me résume à un looping transcendantal.


De mémoire, l’outre tombe à poings fermés. Je la secoue comme la Terre les océans, jusqu’à ce qu’en sorte une paillasse dorée immatriculée dans le dos. Je ferme les yeux et l’attrape du bout des doigts avant de la balancer sur l’autre rive du Pacifique et je l’entends, malgré la distance, entamer une chanson de paille qui s’enflamme avant de devenir un soubresaut de nuages acclamant les louanges bigarrées, frauduleuses et versatiles éclatant sous l’impulsion des forclusions intestinales. Apeuré, je me cloître dans un subterfuge inefficace qui m’oblige à tracer des opportunités illimitées sur des montagnes verticales qui s’aperçoivent enfin que les perchoirs sont en bois de merisier et que je ne peux les supporter, alors j’ouvre une nouvelle fenêtre et je sursaute d’inattention, transpercé par une eau surgelée.


Mon froid dans le dos hérisse mes verbes instantanément dans le sens de la latitude. Les gerçures de mes lèvres se creusent et forment un glacier parti pour de nombreux jours de déplacements lents… Je préférerai me réchauffer au climat thermostat 120° et j’en oublierai mes douleurs surabondantes, mais pas moyen de toucher à ce réglage, trop chaud lui aussi. Alors je tente de trouver des mots chaleureux, des mots qui seraient comme ensoleillés. Je n’arrive pas à les prononcer avec assez de ressenti pour les rendre efficaces. Qui pourra me lancer un mot de secours ? Pas un mot magique, juste un mot qui me rendrait maître de mon oralité. Un mot hors de toute allégeance. Un mot d’ironie ferait l’affaire.


Sur le creux du silence, je joue à l’équilibriste primesautier aux douces joues rosies par la bise nue. Le lance-flamme en coalition déréglé me projette sur un écran total avec effroi. Tu ne peux t’interposer, alors je m’éclate en sanglots longs et je frotte mes langues vernaculaires les unes contre les autres pendant que d’innombrables langues véhiculaires s’agitent au premier carrefour, axe décentralisé d’une obédience caractérisée par la fougue des cheveux oblongs teintés de ramures oisives et argentées. Seules mes génuflexions scandalisent des slogans gantés portant l’insigne des écrivisses rouillées pourfendeuses de hanneton. J’horribilise et j’attends un nouvel élan grammatical capable de m’emmener au-delà des orpailleurs syntaxiques.


Longtemps, j'ai plongé au coeur de la nuit dans des gouffres remplis d'aubépines ensanglantées. Il y avait dans l'air comme une douceur orientale apportée par les vents interminables qui tournoient autour de la place de la discorde. Ils chantaient habituellement les amours perdus et les destins divergents. Nous étions comme des voyageurs debout sur le quai mandé et attendant dans un surlignage frénétique le passage du Transsibérien. Mon samovar gargouillait furieusement et j'ai eu beaucoup de mal à lui imposer le silence. Il me restait encore bien des bagages à faire et entre autres je devais me procurer des carnets cubiques à force d'être épais et des stylos sauvagement étoilés par les chamois des cîmes.


Après avoir jeté l’encre, tes stylos étoilés ne démordent pas d’aligner des politesses le long d’une spirale enchantée. Libres de te désobéir ils furètent dans des dossiers cachés, oubliés entre des billets périmés recouverts d’une plénitude froissée. Dans un désordre éblouissant ils acheminent vers toi des pièges à gourous et à marchandes de paragraphes d’occasion, lavés et repassés. Tu les jettes tous dans une friture brûlante puis, pendant que leurs mots formés désertent ton style, tu formes des lettres à l’aide des pages déchirées de tes carnets. Les pages s’échauffent et brûlent d’impatience, alors que ton ami le vent triomphe de leur ardeur et les cloue sur la façade verte d’un immeuble présent par inadvertance. Elles se déchirent et s’engouffrent dans l’ascenseur où elles s’écartent et retrouvent leur as en dents.


Auteurs : Fuligineuse, Desman

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