dimanche 11 mars 2007

Le Mythe de Dérésine, d’après l’œuvre de Pinclor

Loin des dieux de l’Olympe, loin de la vie, une forme passait inaperçue, inerte comme une promesse trahie avant d’être énoncée, et absconse comme une définition de la beauté, jusqu’au jour où au sud de l’île d’Édionasse, Dérésine tomba de son cheval sur une pierre endormie. Le choc la tua et cette parfaite beauté féminine promise à tous fut pleurée par ses innombrables prétendants. Le cheval de Dérésine fut sacrifié lors de son enterrement et les autres chevaux furent abandonnés par les amoureux de la belle. Attirés par la procession interminable qui touchait à chaque passage la pierre meurtrière posée sur la magnifique stèle, quelques dieux y regardèrent de plus près. Mais trop occupés par leurs propres défis, ils avertirent les habitants déjà en peine que ce lieu serait oublié des dieux. En effet ils négligèrent cet endroit durant des siècles. Aucune prière ne sut les émouvoir. Beaucoup de jeunes hommes se tuèrent de chagrin, d’autres lors de combats pour l’honneur d’une parole trop leste à l’égard de Dérésine, d’autres par ennui, d’autres pour la rejoindre. Aucun ne sut entrer en son contact.

Les années passèrent, et à mesure que mouraient tous ceux qui l’avaient connue, la tombe de Dérésine devenait de plus en plus un lieu à éviter. Lorsque son dernier prétendant, plutôt que de mourir de vieillesse, préféra se fracasser le crâne sur la maudite pierre coupable de tant de malheurs, la population comprit enfin les dieux et se détourna elle aussi de cet endroit. Plus les années passaient, plus le cercle à éviter entourant la tombe de Dérésine grandissait. Puis l’île entière fut abandonnée. Puis ce fut aux îles aux alentours de subir le même sort. Seuls les animaux demeurèrent sur place et ils proliférèrent. Les hommes furent vite oubliés et les chevaux régnèrent en maîtres. Sur l’île d’Édionasse, les équidés se relayaient chaque jour autour de la tombe de Dérésine. Ils usaient la stèle en évitant soigneusement la pierre incriminée. Ensuite ils creusèrent avec leurs sabots jusqu’à atteindre le corps de Dérésine qui, nu, resplendissait de sa beauté intacte. Elle se releva et regarda les chevaux s’éloigner pendant que son ancienne monture, morte le même jour qu’elle, prenait forme et s’agenouillait afin qu’elle puisse s’asseoir sur son dos. Au galop, elle adorait sentir le vent s’essouffler dans sa chevelure et elle plongeait avec bonheur dans l’eau salée avant de se sécher allongée sur le sable fin.

Lorsqu’un bateau s’échouait sur les côtes d’Édionasse, Dérésine aidée par son cheval venait porter secours aux survivants. Malgré sa nudité, personne n’osait la convoiter, à cause du regard qu’elle pouvait lancer et surtout parce que son cheval la protégeait de tout inconvenant. Nul ne voulait plus quitter l’île mais au fil des ans, elle retrouva une population humaine importante. L’endroit devint trop petit et les premières embarcations depuis bien longtemps furent construites. Se sentant abandonnée, Dérésine, montée sur son fidèle cheval, longea longuement la côte puis elle descendit, l’embrassa et s’enfonça dans la mer. Alors que le cheval la rattrapait, les yeux dans les yeux ils se diluèrent dans l’eau à jamais, et la forme inerte et absconse retrouva son inexistence.


Auteur : Desman


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