lundi 5 mars 2007

Ce qu'il reste des lettres effilochées (2)

À l'aide de mon épuisette, je les saisis et les dépose sur le rivage. J'agite la clochette de manganèse dépoli et une escouade de pingouins se précipite, armés de plumeaux ventrus, pour les épousseter, les câliner, les gigoter, les polimâcher et les oindre de graisse continentale. Quelques syllabes qui dépassent sont impitoyablement tranchées et jetées aux requins qui croisent sans cesse dans ces eaux trompeuses. Ensuite les versets sont assemblés par paquets de douze pour être expédiés au marché de la ville voisine, où dès l'aube aux doigts de rose, les ménagères aux doigts de fée les choisiront pour leurs bouquets garnis. Nous n'aurons pas trop de toute la journée pour les préparer.


Les citadins s’offrent ces bouquets aux multiples motifs, mais agglutinés au paravent ils font prœuvre de mansuétudes universitaires et ne corrigent pas la moindre liberté lexicale : pied de nez, pirouettes ou escarpolettes. Les jambes au cou, ils écrivent avec la bouche, parlent avec les mains, et marchent sur la tête, se perdent dans les plomberies grammaticales grillagées qui s’étendent à perte d’ouïe jusqu’à l’agora où d’illustres personnages ragent au point d’interrogation. L’apostrophe fluctuante en avant ils pourchassent le moindre souffle élancé afin de le piéger comme une bête à l’orée des abois. Puis ils se partagent leur proie achevée en syllabes égales et fument ces morceaux de l’art parcheminés aux lettrines dorées.


J’écris sur la fonte des quais comme je m’éloigne de la marche, centré sur une ville impressionnante qui veut mettre la main sur les i lustrés, et où la vie veut voix au chapitre. Je contemple quelques auteurs affairés. Certains éventrent de paradisiaques métaphores qu’ils engloutissent saupoudrées de gluten libérateur de mystiques inconsciences. D’autres nient tout en bloc-note. Mais la plupart meurent assoiffés dans un océan de mots insalubres. Les dieux des mots démis se frayent un passage jusqu’au chœur de la foule en dé-lire qui les harangue jusqu’à la tombée en page. Tous ces lexicographes cherchent le bonheur démesuré et redistribuable à volonté. Ils gagnent leur temps, et raturent à volonté d’un trait vif et éclatant.


Auteurs : Desman, Fuligineuse


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