lundi 19 mars 2007

Hors saison

Le pauvre homme regarde la lumière passée du soleil qui déforme le goût de la vie comme un taureau glacé qui altère et gobe des souvenirs liés par le sceau sanglant d’une arme blanche. Son ombre porte au loin des contorsions ridicules qui font rire les enfants aux poches pleines de boîtes d’ailes de mouches et de fourmis qui ne voleront plus. Cette tâche sombre, image surexposée de son être qui ne veut devenir quelqu’un, glisse jusqu’à l’abreuvoir où croupissent d’anciens mâles de têtards putréfiés. Cette ombre criblée d’étoiles diurnes éclabousse le seuil de la maisonnette oubliée derrière cet oranger mal traité qui perd des fleurs à chaque bourrasque de vent. Les moineaux s’envolent et se déchirent. L’été démissionne et l’automne parachève, feuille après feuille, d’engloutir la moindre goutte asséchée de bonheur.

Dans l'eau de la claire fontaine, armée d'une bonne brosse en chiendent, je râcle jusqu'à l'os mes adjectifs et mes conjonctions. Quant à mes conjectures, je les fais revenir au beurre avec ail et persil, c'est un vrai régal, meilleur que des petit-gris ! Lorsqu'ils sont arrivés, on les reçoit avec les égards dus à leur rang d'oignons. Eu égard d'ailleurs à leur considérable ancienneté, il est légitime, naturel et souhaitable de les placer à fond de cale, pieds et poings liés, et de les nourrir de choux et de raves. Raves qui rêvent dans la nuit du tombeau, traversée de klaxons fulgurants, émaillée de figurants en costume de Seine, de Saône et de Loire. L'ombre des détours me conduit à la nonchalance des palais nomades, désarticulés par la rouille des anciens paravents.

Tes adjectifs et tes conjonctions s’accumulaient dans des corridors durs par peur de ne pas être choisis. Deux chapitres entamaient une présélection. Le plus ignoble d’entre eux cherchait des termes esclaves le long des rivières aériennes, et des gladiateurs pourfendeurs de mots déterminés dans des arènes souterraines et nauséabondes. Pendant ce temps l’autre chapitre, le petit, poussait à l’extrême des procédures d'expulsion de ses anciennes dents de sagesse. Il placarda une lettre qui dénonçait les verbes clandestins, les noms communs sans-papiers et les barbarismes homophones. Cela apparaît d’un autre temps. Pour les siècles des siècles sa lettre est le néant du partage, l’océan de l’incertitude, le séant de l’individualisme. Heureusement que toi, tu oses accueillir et échanger des phrases colorées et épicées. Je t’admire parce que tu chantes encore de sublimes paroles que d’autres regardent et caressent avec bonheur.

Tu chantes des paravents fleuris, des samovars surchauffés, des igloos décolorés, des ignames pointilleuses. Les mots tombent du ciel et s’accumulent dans des flaques qui grossissent et descendent dans la vallée. Ce flot glisse par-dessus de sublimes minables obstacles accoudés à leur opportunisme et qui attendent l’heure de la fermeture des esprits. Tes refrains métissés fusent jusque dans les prés hauts de l’école de la vive et belle allure. Tu devances le printemps et ta voix scintillante récolte des moments de bien-être.

Avec un besoin lancinant de crispuration, je verse dans mon verre un vin blanc pâle comme une héroïne de roman victorien. Il me faudra bien cela pour démarrer au tiers de tour et me mettre à chanter les louanges de l'aéronéantation. J'irais bien plutôt à la pêche à la ligne, mais je crois qu'il y a anguille sous proche et même sous reproche. Aussi je déploie mon foulard de moi sauvage et je déchiffre du côté trame, tandis que je délettre côté chaîne. Le printemps se précipite en agitant ses bannières bourgeonnantes et givrées par un retour agressif de l'hiver qui a sauté par dessus la barrière de corail. Derrière lui défilent les oppossums marbrés de velours pourpre et les petits menteurs à la voix de froid.


auteurs : Desman, Fuligineuse

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